08 janvier 2017

La Trilogie New-Yorkaise, de Paul Auster


Aujourd'hui je vous présente un nouvel exemple de comment un éditeur peut gâcher une lecture...


Résumé : 

Comme son nom l'indique, ce livre rassemble trois histoires de New-Yorkais. Dans la première, après avoir reçu par erreur plusieurs appels destinés à un détective privé, un écrivain décide de jouer le jeu et de se faire passer pour le détective en question, jusqu'à se retrouver au cœur d'une histoire étrange où il doit protéger un fils contre son père tout juste sorti de prison. Dans la deuxième, un détective privé est chargé de surveiller un écrivain, sans en connaître les raisons ni savoir quand cette mission prendra fin. Dans la troisième, un journaliste est appelé par l'épouse d'un ami d'enfance, écrivain qui a disparu mystérieusement, ce qui l'entraîne à reconstituer la vie de cet homme talentueux mais très secret.
 

Mon avis :

Voici encore un livre que j'ai acheté en version audio lors d'une promotion sur Audible. Je connaissais le titre (en fait, je possédais même le livre en version papier, mais je ne l'avais jamais lu) ; je savais qu'il s'agissait de l'une des œuvres les plus connues d'un des auteurs américains contemporains les plus célébrés, et j'étais très curieuse de le découvrir. De plus, le livre était présenté un peu partout comme un roman palpitant ; le résumé éditeur allèche le lecteur avec "c'est qu'il suffit de s'embarquer dans la première phrase d'un de ces trois romans pour être emporté dans les péripéties de l'action et étourdi jusqu'au vertige par les tribulations des personnages" et parle aussi de "thriller".  Quand j'ai dû choisir une lecture que j'espérais prenante et divertissante tout en étant aussi très intéressante d'un point de vue littéraire, je me suis dit que c'était une valeur sûre.

Eh bien, ça m'apprendra à croire toujours un peu aux quatrième de couverture. Celle-ci est encore un nouveau mensonge éhonté. "Les péripéties de l'action", mon oeil ! Celui qui est à la recherche d'un thriller étourdissant en restera pour ses frais. Les trois histoires ne sont pas des histoires d'action ; même si le début de chacune peut donner cette impression d'aventure, en réalité ce sont des intrigues essentiellement introspectives et particulièrement lentes que je pourrais vous résumer en trois phrases. Ce qui est vendu comme un polar est en fait un roman post-moderne. Comme ce n'était pas du tout ce que j'avais envie de lire au moment où j'ai pris ce livre, je me suis affreusement ennuyée, au point d'être plusieurs fois sur le point d'abandonner. Je n'avais vraiment pas envie de me fatiguer les méninges à apprécier la complexité d'intrigues imbriquées et de personnages à la vie intérieure particulièrement riche. Et voilà comment un éditeur gâche le plaisir de ses lecteurs. 

C'est d'autant plus dommage que c'est pourtant une trilogie extrêmement riche à beaucoup de niveaux. Je n'ai finalement pas abandonné ma lecture parce que je me suis dit que si je restais sur cette impression d'ennui, je ne reprendrais jamais ce livre, et que je savais que j'y perdrais beaucoup. D'abord, le style est superbe. Je l'ai écouté en anglais et le choix très précis des mots, couplé au talent du lecteur de la version audio, permet de vraiment s'impliquer dans les pensées des personnages, ce qui constitue toute la richesse de ce livre. A chaque fois, l'intrigue est construite de façon assez similaire : le héros se retrouve sans le vouloir dans une situation très mystérieuse qui l'entraîne dans les méandres d'une réflexion tellement poussée qu'il en perd tout sens de la réalité. Il y a quelque chose de frustrant dans le fait qu'aucun des héros successif ne choisisse la voie la plus logique, même si bien sûr ça retirerait tout intérêt à ces trois histoires. Le cœur de ces intrigues est là, justement : à chaque fois, les héros se perdent dans une situation qui n'a pas de sens, alors que la porte de sortie est à portée de main. L'auteur nous raconte la logique qui mène ses personnages vers la folie. 

Il y a aussi des aspects de la narration très intéressants qui pourraient faire l'objet d'une analyse poussée. C'est par exemple assez évident en ce qui concerne la notion d'identité : dans chaque histoire, l'identité du héros est en question d'une façon ou d'une autre. Dans la première, le héros se fait passer pour un détective du nom de Paul Auster (le nom de l'auteur, donc), et rencontre plus tard un "vrai" Paul Auster qui est écrivain et ressemble à s'y méprendre à l'auteur lui-même. Dans la deuxième histoire (dont tous les personnages ont des noms de couleurs), le héros finit par se confondre avec l'homme qu'il est sensé surveiller, au point que plusieurs interprétations possibles s'ouvrent au lecteur (schizophrénie ?). Dans la troisième, le héros prend la place de son ami disparu, à tous les niveaux, et après avoir lu les deux premières histoires, on est en droit de se poser la même question : s'agit-il de la même personne ? 

Une autre question récurrente et la place de l'auteur dans son roman. Non seulement il se met directement en scène dans la première histoire, mais dans chacune d'entre elles, le héros ou les autres personnages principaux (ou les deux) sont des écrivains, comme lui. Ça donne d'ailleurs un petit côté nombriliste à ces histoires, un aspect qui m'énerve facilement en littérature contemporaine. D'autre part, il y a une certaine confusion concernant la position du narrateur. Par exemple, dans la première histoire, il semble se positionner comme un narrateur externe attaché au héros et omniscient, puis il s'avère qu'il a lui-même une identité distincte et qu'il reconstruit l'histoire à partir de documents, mais il se contredit en racontant également des rêves dont le héros lui-même ne se souvient pas. Dans la seconde histoire, j'ai également remarqué l'utilisation de certaines tournures de phrases ambiguës que malheureusement je n'ai pas notées mais qui impliquaient une grande distance entre le narrateur et l'histoire elle-même, des choses comme "on pourrait avancer l'interprétation que...".  Plusieurs intrigues sont souvent imbriquées, car pour comprendre la position du héros il faut parfois se plonger dans la vie et la réflexion d'autres personnages (comme quand on découvre en détails le sujet de thèse du père du jeune homme que le héros de la première histoire est censé protéger - dans ce cas-là ça m'a quand même paru aller un peu trop loin). Et dans ces cas-là aussi on sent l'implication personnelle de l'auteur qui profite de cette occasion pour parler de ce qu'il connaît et apprécie. 

En résumé, voilà un roman très riche, des histoires et des techniques de narration qui méritent réflexion et analyse, une collection de trois histoires qui forment un tout cohérent et qui se parlent les unes aux autres. Son seul défaut c'est d'être vendu comme un polar, car si comme moi vous cherchez de l'aventure, vous ne pourrez qu'être déçu par ces textes extrêmement introspectifs. En ce qui me concerne, ce livre renferme à la fois tout ce que j'aime et tout ce que je déteste dans la littérature contemporaine : la créativité littéraire d'un côté, l'introspection continuelle de l'autre. Tous ceux qui aiment ce genre devraient absolument lire cette trilogie new-yorkaise ! 


Pour en savoir plus :

2 commentaires:

  1. Je n'ai jamais lu de Paul Auster mais d'après ce que j'en sais, c'est vrai que ce ne sont pas des romans que je qualifierais de thrillers étourdissants :) J'avais vu les films Smoke et Brooklyn Boogie que j'avais beaucoup aimés mais qui étaient davantage des tranches de vie new-yorkaise.

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  2. J'avais vraiment bien aimé cette lecture à l'époque (mais ça remonte à pas mal d'années). J'avais lu quelques autres de ses livres par la suite avec beaucoup de plaisir.

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